Nintendo, Zelda et l’industrie du jeu vidéo post Breath of the Wild

Nintendo, Zelda et l’industrie du jeu vidéo post Breath of the Wild

Souvenez-vous, le 3 mars 2017. Nintendo frappait un très grand coup en sortant certes sa nouvelle console qu’on ne présente plus, mais également The Legend of Zelda : Breath of the Wild, sur Switch et, on a tendance à l’oublier, sur Wii U. En parvenant à réinventer sa série légendaire avec brio, Eiji Aonuma et ses équipes ont très clairement marqué l’histoire du jeu vidéo et personne ne doutait qu’à l’instar de Ocarina of Time, il y aurait un avant et un après Breath of the Wild dans le paysage vidéoludique.

Très vite, on a pu constater l’influence du dernier Zelda dans de nombreux jeux, avec entre autres l’utilisation de ce que je me plais à appeler le « plan de caméra BotW ». Rien de bien révolutionnaire en soi, nombreux étaient les jeux à prendre la main sur le joueur pour dévoiler des horizons à perte de vue, mais Breath of the Wild a très clairement marqué les esprits en jouant de ce procédé pour nous laisser admirer non pas seulement un paysage envoûtant, mais également l’immensité du monde qui s’offre à nous, et bon nombre de jeux en monde ouvert ont adopté un procédé similaire pour nous inviter au voyage et nous présenter leur univers. À peine quelques mois plus tard, en juillet 2017, le très sympathique Yonder : The Cloud Catcher Chronicles nous déroulait une introduction bien trop similaire pour être honnête.

Si dans un premier temps l’influence de Breath of the Wild s’est arrêtée à des clins d’œil tels que ce traveling de caméra caractéristique, il est intéressant de noter une célèbre série de Ubisoft qui a progressivement digéré le dernier Zelda à plusieurs niveaux. Ainsi, si Assassin’s Creed Origins use d’artifices similaires pour donner le vertige au joueur lorsqu’il prend le contrôle de Bayek, c’est surtout dans sa relecture des mécaniques de parkour et d’escalade que les développeurs de chez Ubi se sont inspirés des aventures de Link. Certes, les assassins ne sont pas soumis à une jauge d’endurance, mais à l’instar de BotW, il est désormais possible de grimper absolument partout, en achevant d’ouvrir la dimension exploration des Assassin’s Creed. Construit sur le même squelette, Assassin’s Creed Odyssey (développé par Ubisoft Québec, notez cela dans un coin de votre tête) poussait même le vice jusqu’à proposer au détour d’une quête secondaire un puzzle assez simple faisant apparaitre une petite plante dont l’apparence ne trompe pas sur la référence évidente aux Korogus du dernier Zelda.

Projetons-nous quelques années en avant pour nous remémorer l’E3 2019, et penchons-nous sur deux annonces en particulier, par ordre chronologique. Lors de sa conférence, Ubisoft a dévoilé au détour d’un très bref trailer Gods & Monsters, un jeu développé par Ubisoft Québec ! Cette très courte vidéo présentait un titre en monde ouvert prenant place dans la mythologie grecque. La charte de couleurs utilisée et la direction artistique globale ne trompent pas et bien que le contexte puisse évoquer Kid Icarus, c’est clairement Zelda que le nouveau jeu des développeurs de Assassin’s Creed Odyssey attaque de front. Quelques jours plus tard, c’est au tour de Nintendo de dégainer, et le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont réussi à prendre tout le monde par surprise ! Après un segment du traditionnel Nintendo Direct de juin consacré au remake de A Link To The Past, personne ne s’attendait à voir débouler le « One Last Thing » le plus intense qui soit : l’annonce en grande pompe d’une suite directe à Breath of the Wild ! Il est d’ailleurs déjà très intéressant de constater que nous pouvons tracer quelques parallèles entre les désormais deux Breath of the Wild et les deux Zelda de la Nintendo 64 à savoir Ocarina of Time et Majora’s Mask.

Ocarina of Time et Breath of the Wild ont tous deux chamboulé la formule Zelda, le premier en faisant rentrer magistralement la série dans l’ère de la 3D et le second en parvenant à faire voler en éclats les codes établis par le premier, une formule dont les Zelda 3D cherchaient depuis quelques épisodes à s’émanciper sans trop y parvenir. Le trailer d’annonce nous présente bel et bien une suite directe aux évènements de Breath of the Wild, Majora’s Mask était la suite directe de Ocarina of Time, et le ton plus sombre et angoissant est donné dès les premières secondes de la vidéo. Majora’s Mask se démarquait justement très fortement de son prédécesseur par une ambiance atypique bien plus oppressante que celle de Ocarina of Time et reste à ce jour – paradoxalement vu les deux petites années séparant leurs sorties respectives – le Zelda 3D à s’être le plus démarqué de la formule Ocarina. Peut-on donc d’ores et déjà s’attendre à un Breath of the Wild 2 réinventant une formule fraichement établie au risque de dérouter les joueurs et les marquer comme a pu le faire Majora’s Mask ? Seul l’avenir nous le dira.

Retour à notre époque, en ce mois de septembre où les deux jeux vont enfin refaire parler d’eux après pas loin de quinze mois sans aucune communication. Sur ce laps de temps sont sortis deux titres marquants dans lesquels on ne se serait pas attendu à retrouver une touche de Breath of the Wild, et pourtant ! Death Stranding est parvenu à nous impliquer dans l’exploration de son monde ouvert avec la même intensité que le dernier Zelda. Aussi bien Link que Sam voient leurs déplacements soumis à une barre d’endurance et peuvent choisir l’itinéraire qui leur sied le mieux pour peu qu’ils se soient bien préparés, tout en devant s’adapter à la météo venant rendre la tâche plus ardue. Death Stranding complexifie l’équation en y rajoutant la gestion de son équipement et l’impact de ce dernier sur nos déplacements, mais il se dégage définitivement un je ne sais quoi du bébé de Kojima qui renvoie aux dernières aventures de Link.

Bien plus récemment, c’est une production Playstation Studios développée par Sucker Punch qui est parvenue à digérer cette même influence : Ghost of Tsushima. Assurément mon coup de cœur de l’été, ce jeu en monde ouvert qu’on aurait vite fait de qualifier à tort d’Assassin’s Creed au Japon ose le pari gagnant de s’affranchir de toute mini-map ou boussole. À l’instar du Hyrule nouveau, l’archipel de Tsushima a bénéficié d’un soin tout particulier apporté à son level design pour offrir à ses joueurs une invitation naturelle à l’aventure. Bien qu’on puisse les retrouver sur la carte du monde accessible dans le menu de pause, les nombreux points d’intérêt que pourra visiter Jin Sakai s’intègrent parfaitement dans le monde du jeu et ont la décence de ne pas pulluler, invitant d’autant plus le joueur à partir à leur recherche. Ghost of Tsushima réinvente même le radar de la tablette Sheikah en lui donnant vie de façon plus naturelle dans son monde : lors de ses pérégrinations, notre héros croisera la route d’oiseaux et de renards qui le guideront vers des sanctuaires cachés.

C’est lors du Ubi Forward de septembre que Gods & Monsters a refait parler de lui. Les rumeurs enflaient quant à la sortie imminente du titre sous un tout nouveau nom, ce que nous a confirmé la vidéo-conférence de Ubisoft. Immortals : Fenyx Rising s’est alors dévoilé plus en détail, en venant confirmer ce que tout le monde avait vu venir et ce malgré un changement de direction artistique pas forcément réussi : le jeu transpire le Breath of the Wild par quasiment tous les pores. Mis à part son système de combat, tout ce que les développeurs nous ont présenté ce soir-là trouve sa comparaison – parfois au pixel près – dans le jeu de Nintendo. Que ce soit la façon dont Fenyx escalade les surfaces verticales, la présence de nombreux sanctuaires où elle devra traverser de petits donjons construits autour de jeux d’adresse, des pouvoirs évoquant tour à tour la tablette Sheikah et les bénédictions des prodiges et j’en passe, les similitudes sont trop grosses pour être honnêtes. Le jeu a l’air bien sympathique malgré tout et j’ai hâte de pouvoir m’y essayer malgré ce manque de personnalité, bien que je redoute que le squelette du monde ouvert à la Ubi ne ressorte un peu trop et dissone avec les intentions Breath-esques de Ubisoft Québec.

À quelques jours d’intervalle, Nintendo a dégainé sa propre cartouche en annonçant non pas du nouveau autour de Breath of the Wild 2, mais un tout nouveau jeu s’inscrivant officiellement dans la saga Breath of the Wild. Développé comme le premier opus par Koei Tecmo, Hyrule Warriors : l’Ere du Fléau est à l’instar de son prédécesseur un Muso prenant place dans l’univers de The Legend of Zelda mais contrairement à ce dernier, il propose une histoire inédite et venant s’intégrer dans la chronologie du « diptyque » en nous faisant revivre les fameux évènements ayant amené à la défaite de l’armée de Hyrule face à Ganon et au sommeil centenaire de Link. Mine de rien, cette annonce en dit long sur les intentions de Nintendo quant à l’avenir de la licence Zelda. Si jusqu’à présent chaque épisode était un « reboot » autour de la légende opposant Link et Zelda à Ganon, rebattant les cartes quasiment à chaque jeu, la firme de Kyoto affirme ici clairement vouloir continuer à remplir la page qu’elle a commencé à écrire en 2017. Vu comment Breath of the Wild a apporté un nouveau souffle à la saga en termes de gameplay, il est très intéressant de voir Nintendo étoffer le background de sa révolution via cette « trilogie BOTW ».

Ce qui est cocasse en tout cas, c’est que cette annonce – et par extension le retour de Breath of the Wild sur toutes les lèvres des fans – arrive pile au moment où la « concurrence » se montre tout doucement envahissante. Outre le Immortals de Ubisoft (qui avait je trouve plus de gueule quand il s’appelait encore Gods & Monsters) et sans même tenir compte des influences digérées que l’on peut retrouver dans des productions AAA telles que Death Stranding et Ghost of Tsushima. En plus du récent Windbound que nous avions abordé ensemble en ces lignes, on peut très clairement retrouver une inspiration Breath of the Wild dans des titres comme The Pathless, Little Devil Inside ou encore le free to play Genshin Impact de miHoYo qui, un peu comme Immortals : Fenyx Rising, singe un peu trop le modèle pour être honnête. Est-ce que les ambitions de Nintendo pour capitaliser autour de la « marque » Breath of the Wild viendront rappeler à tout le monde qui est le patron ? Nous avons tous hâte de le découvrir manette en main !

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